Diamants, pétrole, or, cuivre, cobalt, cassitérite, coltan…. Le sous-sol de la République démocratique du Congo est l’un des plus riches au monde. Ces dernières années, des nouveaux acteurs comme des groupes chinois ou des intermédiaires émiratis sont venus investir dans le secteur minier plusieurs milliards de dollars. Et pourtant cette manne ne retombe pas dans l’économie congolaise et le pays n’arrive pas à sortir de la pauvreté. Plus de 70% des Congolais vivent aujourd’hui avec moins de 2 dollars par jour. Les minerais, une malédiction pour le pays ? Analyse.
La malédiction des matières premières, une constante de l’histoire du Congo ? Lorsque Léopold II, roi des Belges (1865-1909) fait du Congo sa propriété personnelle en 1885 il s’engage à ce que les matières premières et les minerais du pays restent accessibles aux grandes puissances de l’époque.
Depuis l’arrivée des premiers Européens dans cette immense pays d’Afrique centrale de 2,3 millions de kilomètres carrés, le sous-sol congolais reste toujours un objet de convoitises, plus de soixante ans après l’indépendance du pays (1960). Philippe Chalmain est un spécialiste du marché des matières premières, ancien professeur à l’Université de Paris Dauphine. Selon lui, la richesse en matières premières du pays reste unique.
3ème producteur de cuivre dans le monde
« On a toujours dit que le Congo est un scandale géologique. La RDC est aujourd’hui le troisième producteur de cuivre dans le monde, avec 10% des ressources mondiales. Et le sous-sol congolais produit aujourd’hui 70% de la production mondiale de cobalt dans le monde. Ils ont du nickel, de l’étain, du diamant, de la cassitérite « , décrit le chercheur.
Le secteur minier est aujourd’hui au mains des étrangers et l’État congolais ne touche pas les dividendes de ce secteur minier, de cette richesse qui de fait n’est pas redistribué vers la population.
Erik Bruyland, journaliste et auteur de « Cobalt blues »
Certains de ses métaux sont stratégiques pour l’économie mondiale et notamment pour les nouvelles technologies. Le cobalt est un métal essentiel notamment pour la fabrication des batteries utilisées dans l’électronique et les voitures électriques. La cassitérite et le coltan servent à la production des écrans pour les téléphones et ordinateurs portables.
Un secteur dominé par les groupes chinois
Aujourd’hui, les exportations de minerai représentent plus de 90% des exportations du pays, et plus de la moitié partent à destination de la Chine. Mais ces ressources minières ne constituent aujourd’hui que 30% des recettes fiscales. « Le secteur minier est aujourd’hui aux mains des étrangers et l’État congolais ne touche pas les dividendes de ce secteur minier, de cette richesse qui, de fait, n’est pas redistribuée vers la population », constate Erik Bruyland, journaliste et auteur de « Cobalt blues ».
70% de la production de Cobalt dans le monde
En 2018, le gouvernement avait mis en place un nouveau code minier censé donner plus de marge de manœuvre à la puissance publique congolaise dans ses négociations avec les grands groupes étrangers.
Mais selon Erik Bruyland le problème est surtout structurel. La RDC (alors le Zaïre) sous la présidence Mobutu (1965-1997) possédait un acteur public puissant chargé d’exploiter les ressources minières et de reverser une part importante des dividendes de la rente minière au coté d’autres acteurs privés. Il s’agissait de la Gécamine, entreprise nationale basée dans le haut-Katanga.
« En 2010, l’entreprise est privatisée et en partie démantelée en plusieurs acteurs privés. Et face à de grands groupes privés le secteur minier congolais pèse désormais beaucoup moins », explique Erik Bruyland. « Les groupes chinois se sont imposés et les conditions offertes aux Congolais sont encore plus dures que celles des groupes européens qui exploitaient le sous-sol congolais », ajoute le journaliste. « Les groupes européens, hormis le Suisse Glencore, ont effectivement laissé la place aux acteurs chinois », confirme Philippe Chalmain.
« Historiquement, les grands opérateurs étaient Belges en RDC. Ils imposaient aussi leur agenda. Les Belges ont favorisé un temps la sécession du Katanga du pouvoir central (de 1960 à 1965), une des premières régions minières du pays pour leurs intérêts avant de soutenir le président Mobutu. La richesse du sous-sol attire les puissances étrangères et cela continue aujourd’hui. Le Rwanda est par exemple très bien classé dans les exportations de minerais comme le cobalt ou le coltan. Ces minerais viennent des régions de l’est de la RDC », explique Philippe Chalmain.
Le gouvernement du Rwanda nie toute implication dans la guerre qui touche l’est du la RDC et nie être derrière le M23, mouvement armé qui sévit dans le Nord-Kivu. Philippe Chalmain distingue aujourd’hui deux types d’exploitations minières en République démocratique du Congo, celui des mines artisanales et celui des grands groupes.
Financement des groupes armés
« On trouve des mines artisanales dans des zones de conflits dans l’est du pays, ces minerais financent les groupes armés présents dans l’est du pays. Ces minerais partent ensuite dans un pays voisin de la RDC pour être ensuite exporté vers un intermédiaire peu regardant sur les conditions d’extraction de ces minerais. Ces intermédiaires sont à Dubaï dans les Émirats arabes unis. Et les autorités locales ferment les yeux », explique Philippe Chalmain.
Le gouvernement des Émirats arabes unis affirme vouloir combattre la contrebande de ces minerais. Il cherche à investir dans le secteur minier en partenariat avec le gouvernement de Kinshasa. Les Emirats ont ainsi signé en juillet 2023 un accord de 1,9 milliard de dollars avec une société minière d’Etat en République démocratique du Congo, pour développer au moins quatre mines dans l’est troublé du pays d’Afrique centrale.
« Le secteur minier des grands groupes, dominé par des grands groupes chinois est plus propre que les mines artisanales », estime Philippe Chalmain. Pourrait-il verser une plus grande part des ressources minières à l’État congolais ? Philippe Chalmain rappelle que les investissements restent colossaux lorsqu’un opérateur veut ouvrir une mine industrielle dans le cuivre. « Une ligne de cuivre de 300 000 tonnes, comme au Chili, représente 11 milliards de dollars d’investissement », explique le chercheur.
Dénonciation du contrat minier de 2008 avec la Chine
Le président Félix Tshisekedi lui s’était exprimé en février 2023 en faveur de la révision du contrat minier conclu en 2008 avec la Chine par son prédécesseur Joseph Kabila, afin de « garantir les intérêts » de la République démocratique du Congo (RDC).
Rares sont les pays qui réussissent à éviter la malédiction des matières premières.
Philippe Chalmain, spécialiste des matières premières
L’ex-président Kabila (2001-2019) avait négocié en 2008 un contrat sous forme de troc – cobalt et cuivre contre la construction d’infrastructures – avec un consortium chinois pour un montant de 9 milliards de dollars, renégocié à 6 milliards sous pression du Fonds monétaire international (FMI). À ce jour, près de 2,74 milliards ont été décaissés par la partie chinoise, pour l’essentiel sous forme d’investissements.
Mi-février 2023 , l’Inspection générale des finances (IGF) de la RDC estimait dans une étude qu’il y avait, dans cette convention de collaboration, un « important déséquilibre financier » au détriment de la RDC.
Dans ses conclusions, l’IGF avance un montant de « 76 milliards de gain pour la partie chinoise, contre 3 milliards d’infrastructures pour la RDC ».
Philippe Chalmain pointe lui la « mauvaise gouvernance et la corruption ». » Les minerais en RDC sont un peu comme le pétrole au Venezuela. Cette rente crée un cycle d’inflation et de corruption », explique le spécialiste des matières premières.
« Rares sont les pays qui réussissent à éviter la malédiction des matières premières. Ceux qui ont réussi ont fait en sorte de dissocier les revenus tirés des ressources des matières premières des revenus de l’Etat. C’est ce qu’a fait en Afrique un pays comme le Botswana, qui a crée un fonds en faveur des générations futures alimenté par les ressources en diamant. »
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